Le nucléaire est au cœur des discussions politiques, notamment en cette période électorale. Certains le considèrent comme nécessaire dans une optique de transition énergétique tandis que d'autres considèrent que la sortie du nucléaire doit se faire aussi vite que possible. J'ai déjà exprimé mon avis personnel ici.
Qu'est-ce que la radioactivité ? Quelles réactions sont mises en jeu dans une centrale nucléaire ? Quid de la fission nucléaire ?
La radioactivité
Qu'est-ce que la radioactivité ?
La radioactivité n'a pas été inventée par l'être humain mais découverte. Il s'agit en effet d'un phénomène naturel qui fut découvert il y a plus d'un siècle, en 1896, par Henri Becquerel (1852-1908). Ce dernier, en étudiant des minerais d'uranium, découvre que ces minerais émettent spontanément, sans s'épuiser, des rayonnements invisibles à l'œil humain. Très vite, Pierre (1859-1906) et Marie Curie (1867-1934) confirment la radioactivité pour le radium et le polonium (jusqu'ici inconnus), qui possèdent les mêmes propriétés que l'atome d'uranium. Ils ont d'ailleurs reçu le prix Nobel de physique en 1903 pour cette découverte.
Ces rayonnements, imperceptibles par nos sens, sont mesurés grâce à l'énergie qu'ils possèdent. Cette énergie est suffisante pour arracher des électrons aux atomes de matière qu'ils rencontrent ou encore pour exciter des atomes. Les détecteurs de radioactivité, appelés compteurs Geiger, convertissent les électrons ou les photons créés par le rayonnement en un signal électrique. Le détecteur utilisé est relié à un haut-parleur qui permet de diffuser un signal sonore pour chaque rayonnement détecté. Ainsi, plus il y a de sons et plus la source étudiée est radioactive.
Ce n'est pas parce que la radioactivité est naturelle que nous devrions déjà être tous morts. La radioactivité naturelle n'est normalement pas dangereuse pour notre santé. Nous-mêmes sommes radioactifs.
Comment est formée la radioactivité ?
Les noyaux isotopes d'un élément ne sont pas tous stables. Des noyaux isotopes ont le même nombre de protons (ce sont les mêmes éléments chimiques) mais ont un nombre de neutrons différents. Par exemple, le carbone 14 (6 protons et 8 neutrons, utilisé pour dater des objets) est un isotope du carbone 12 (6 protons et 6 neutrons).
Le diagramme de Segré (disponible et mis à jour ici) montre les éléments chimiques en fonction de leur nombre de protons et de neutrons. C'est l'ensemble des isotopes connus. Les carrés noirs représentent les noyaux stables, tandis que les autres couleurs représentent les noyaux instables. On peut remarquer que les noyaux de plus de 80 protons ne sont plus stables.
Parfois, l'instabilité des atomes résulte du surplus de protons ou de neutrons. Dans ce cas, l'atome expulse une particule spontanément en émettant un rayon $\gamma$ de grande énergie.
On appelle noyau père le noyau avant désintégration et noyau fils le nouveau noyau formé après désintégration. Ce phénomène est appelé radioactivité. Ces particules peuvent être :
- Une particule alpha ($\alpha$) qui est en fait un noyau d'hélium 4 (${}^4_2\,\text{He}$), constitué de 4 nucléons et 2 protons. En émettant cette particule, il perd ainsi des protons et des neutrons, ce qui le rend plus stable.
- Une particule bêta moins ($\beta^-$) qui est en fait un électron (${}^0_{-1}\,\text{e}$).
- Une particule bêta plus ($\beta^+$) qui est en fait un positon ou positron (${}^0_1\,\text{e}$). Il s'agit de l'antiparticule de l'électron. Ils ont la même masse mais une charge mathématiquement opposée.
Par exemple, le noyau d'uranium est instable. Il va donc émettre une de ces particules pour devenir stable. Cette désintégration est naturelle, c'est-à-dire qu'il va le faire tout seul. Elle est par ailleurs spontanée, c'est-à-dire qu'elle se fait quand elle veut. On estime qu'au bout d'environ 4,5 milliards d'années, la moitié des noyaux d'uranium auront disparu. C'est ce qu'on appelle la demi-vie. Elle est définie comme le temps au bout duquel la moitié de la « population » de noyaux instables aura disparu. Si on attend encore 4,5 milliards d'années après ces 4,5 milliards d'années, il n'y aura plus que ma moitié de la moitié de la population initiale, soit 25 %.
Il n'y a pas que les noyaux lourds qui se désintègrent, comme par exemple le carbone 14. Ainsi, environ 35 % de la radioactivité de notre corps est dû au carbone 14. Le reste est dû au potassium 40.
L'activité d'un échantillon
Le nombre de désintégrations par seconde d'un échantillon radioactif est appelé activité. Elle est notée $A$ et s'exprime en becquerel (de symbole Bq) : \[ A=\frac{N}{\Delta t}, \] où $A$ est l'activité en Bq, $N$ est le nombre de désintégrations et $\Delta t$ est le temps en seconde.
Par exemple, si un échantillon contenant de l'uranium se désintègre 300 fois en 1 minute, l'activité est ${\displaystyle A=\frac{300}{60}=5\;\text{Bq} }$.
Le tableau ci-dessous montre les activités moyennes de quelques objets quotidiens.
Objet | Activité moyenne |
---|---|
1 litre d'eau de pluie | 0,3 à 1 Bq |
1 litre d'eau de mer | 10 Bq |
1 litre de lait | 80 Bq |
Poisson | 100 Bq |
Pomme de terre | 150 Bq |
Sol sédimentaire | 400 Bq |
Café | 1 000 Bq |
Granite | 1 000 Bq |
Cendre de charbon | 2 000 Bq |
Engrais (phosphate) | 5 000 Bq |
Homme (70 kg) | 7 000 Bq soit 100 Bq par kg |
Sol granitique | 8 000 Bq |
Détecteur d'incendie | 30 000 Bq |
Minerai d'uranium | 25 millions de Bq |
Radioisotope pour les diagnostics médicaux | 70 millions de Bq |
Déchets nucléaires de haute activité (vieux de 50 ans), vitrifiés | 10 000 milliards de Bq |
Source radioactive médicale | 100 000 milliards de Bq |
Activités moyennes de quelques objets quotidiens, données pour 1 kg (sauf mention contraire) (Laboratoire souterrain de Modane, 2016)
Les réactions nucléaires
Il existe deux types de réactions nucléaires : la fission et la fusion.
La fission
Dans le cas de la fission, un noyau lourd « éclate » sous l'impact d'un neutron. Il peut « éclater » tout seul mais il n'est pas concevable d'attendre plusieurs milliards d'années pour produire de l'électricité. On provoque donc sa désintégration.
Lorsqu'un neutron « tape » sur un noyau lourd, ce dernier, « éclate ». Il se forme donc des noyaux plus légers (les noyaux fils), généralement radioactifs également, et un rayonnement électromagnétique $\gamma$, avec de l'énergie libérée. Cette réaction concerne des noyaux dits fissiles comme l'atome d'uranium et l'atome de plutonium.
C'est la réaction de fission qui est utilisée pour le moment dans les centrales nucléaires afin de produire de l'électricité. On utilise généralement de l'uranium 235 (${}^{235}_{92}\,\text{U}$). Le schéma ci-dessous explique la réaction de fission de cet isotope de l'uranium.

Cela n'est qu'un exemple de la fission de l'uranium. En voici un autre :

On peut remarquer que le nombre de protons et de neutrons est le même avant et après la désintégration. Avant la fission, il y a $1+235=236$ nucléons dont $0+92=92$ protons. Après la fission, il y a $92+141+1+1+1=236$ nucléons donc $36+56+0+0+0$ protons. On dit qu'il y a conservation du nombre de masse et du nombre de charge. Ces lois de conservation sont également appelées lois de Soddy. Attention : il n'y a pas conservation de la masse.
La fusion
Dans le cas de la fusion, deux noyaux légers « s'associent » pour former un noyau plus lourd.
Il y a là aussi émission de particules et d'un rayonnement électromagnétique $\gamma$, avec de l'énergie libérée.
Voici un exemple de fusion nucléaire. Le deutérium (${}^2_1\,\text{H}$) et le tritium (${}^3_1\,\text{H}$) sont tous deux des isotopes de l'hydrogène.

Le problème majeur de la fusion est qu'il faut une température et une pression élevées, comme dans les étoiles. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans notre Soleil spontanément :

On comprend ainsi pourquoi on estime que 75 % de la masse du Soleil est de l'hydrogène et 25 % de l'hélium.
Dans notre Soleil, chaque seconde, environ 627 millions de tonnes d'hydrogène fusionnent pour produire $\pm$ 622,7 millions de tonnes d'hélium. À titre de comparaison, 600 millions de tonnes équivaut à la masse de la population mondiale... 2 fois !
On peut remarque que là encore les nombres de masse et de charge sont conservés, mais pas la masse (de 627 à 622 millions de tonnes).
Nous ne parvenons pas encore à contrôler la fusion, ce qui n'empêche pas de nombreux laboratoires d'étudier la fusion mettant en jeu le deutérium et le tritium. On peut par exemple citer le projet ITER, le Laser Magéjoule.
L'énergie libérée
La non conservation de la masse
Dans une réaction nucléaire, la masse ne se conserve pas : la masse des « produits » est inférieure à celle des « réactifs », contrairement aux réactions chimiques qui observent la conservation de la masse. Notez que les mots « produits » et « réactifs » sont entre guillemets ici car ce vocabulaire s'associe généralement aux réactions chimiques et se transposent aux réactions nucléaires par abus de langage.
La masse manquante, appelée défaut de masse ou perte de masse, est noté $\Delta m$ et est égale à : \[ \Delta m=m_\text{réactifs}-m_\text{produits}, \] où $\Delta m$ est le défaut de masse en kg, $m_\text{réactifs}$ est la masse des « réactifs » en kg et $m_\text{produits}$ est la masse des « produits » en kg.
La célèbre formule d'Einstein
La plus célèbre des formules d'Einstein est utilisée en physique nucléaire. La masse « perdue » lors d'une réaction nucléaire se transforme en réalité en énergie. Ainsi, une réaction nucléaire libère de l'énergie ; c'est cette énergie qui est utilisée dans les centrales nucléaires pour produire de l'électricité.
L'énergie libérée est : \[ E_\text{libérée}=\left|\Delta m\right|\cdot c^2, \] où $E_\text{libérée}$ est l'énergie libérée par la réaction nucléaire en J, $\left|\Delta m\right|$ est le défaut de masse en kg et $c$ est la vitesse de la lumière dans le vide en $\text{m}\cdot\text{s}^{-1}$. En raison du faible ordre de grandeur du défaut de masse et afin d'avoir une énergie libérée aussi précise que le défaut de masse, on utilise généralement la vitesse de la lumière exacte par définition à 9 chiffres significatifs : $c=299\,792\,458\;\text{m}\cdot\text{s}^{-1}$.
$E_\text{libérée}$ correspond à l'énergie de liaison, c'est-à-dire celle qui assure la cohésion du noyau lorsque les nucléons sont « accrochés » entre eux. La masse d'un noyau est toujours inférieure à la somme des masses de chacun de ses nucléons isolés puisque la masse manquante a été convertie en énergie de liaison grâce à la formule d'Einstein. Elle correspond à l'énergie qu'il faudrait fournir au noyau pour qu'il soit dissocié en ses nucléons isolés.
Les unités
Une autre unité de masse est également utilisée dans ce contexte : il s'agit de l'unité de masse atomique, notée u. Elle est égale à $1\;\text{u}=1{,}660 54\times10^{-27}\cdot\text{kg}$. Par définition, il s'agit du douzième de la masse du carbone 12.
Une autre unité d'énergie est également utilisée car elle est plus petite que le joule et est plus cohérente dans le contexte des petites unités en physique nucléaire. Il s'agit de l'électron-volt (eV) : $1\;\text{eV}=1{,}6\times10^{-19}\;\text{J}$.
Fission ou fusion ?
Le projet ITER est d'arriver à maîtriser la fusion, c'est-à-dire à faire entrer en collision des noyaux légers d'hydrogène. Ces collisions sont cependant difficiles à provoquer parce que les noyaux, qui portent une charge électrique positive à cause des protons, ont tendance à se repousser par répulsion électrostatique. Il faut donc déplacer les noyaux à haute vitesse, et avoir un plasma à haute température (dans le Soleil, c'est la gravité qui va rapprocher les noyaux). L'objectif d'ITER est de chauffer son combustible (un mélange de deutérium et de tritium) à une température supérieure à 100 millions de degrés durant sept à quinze minutes, afin de produire de l'énergie. Malheureusement, nous n'arrivons pas encore à réaliser la fusion en laboratoire. Nous devons donc nous en tenir à la fission, pour le moment.
Plusieurs raisons font que la fusion est préférée à la fission (ITER, 2016) :
- La fusion produit beaucoup plus d'énergie que la fission : l'énergie libérée par fission de l'uranium 235 est environ de 0,78 MeV/nucléon, contre 5,7 MeV/nucléon pour la fusion du deutérium et du tritium (Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, 2019).
- La durée de vie des déchets radioactifs est plus courte dans la fusion que dans la fission.
- Le deutérium et le tritium sont disponibles en grande quantité : le deutérium peut s'obtenir en distillant de l'eau (douce ou marine) et le tritium s'obtient avec l'interaction d'un neutron et d'un atome de lithium, contrairement à l'uranium qui doit être importé d'autres pays. Le lithium présent dans la croûte terrestre pourrait alimenter les centrales de fusion pendant plus d'un millénaire ; celui présent dans les océans pendant des millions d'années.
- Au niveau sécurité, les centrales de fusion ne contiennent pas d'éléments susceptibles d'être utilisés dans des armes nucléaires.
- Une centrale de fusion ne présente pas de risque de fusion du cœur. En cas de problème, le plasma créé se refroidit en quelques secondes et les réactions cessent.
Références
Laboratoire souterrain de Modane (2016). La radioactivité - Exemples, ordres de grandeur. CNRS. http://www.lsm.in2p3.fr/activites/phys_fondam/Radioactivite4.htm.
Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (2019). L’essentiel sur les réactions nucléaires : fusion, fission, nucléosynthèse stellaire. https://eduscol.education.fr/document/25363/download.
ITER (2016). Avantages de la fusion. https://www.iter.org/fr/sci/fusion.